S’adapter aux crises :
réponses globales des dramaturges, des compagnies théâtrales et des contestataires
Vendredi 11 juin 2021 | 9 h 30 - 11 h 00
Séance simultanés en direct sur Zoom en anglais. Aucune interprétation ou traduction ne sera proposée pour cet événement.
(PRÉSIDENCE : SHELLY LIEBEMBUK) FELICIA CUCUTA, NAE HANASHIRO AVILA & ROBIN WHITTAKER
La résilience de la diaspora dans les œuvres de Wajdi Mouawad pendant la pandémie
FELICIA CUCUTA
La célèbre tétralogie de Wajdi Mouawad (Incendies, Littoral, Forêts et Ciels) se prête à de nombreuses interprétations du point de vue de la littérature migrante, des études canadiennes et des études de la performance. Ma présentation se détourne de cette œuvre et s’intéresse plutôt au corpus que l’artiste d’origine libanaise a créé durant la pandémie de COVID-19. Faisant écho aux réalités politiques et culturelles vécues par les Libanais.e.s après la guerre civile, les explosions qui ont incendié Beyrouth en août 2020 ont marqué le travail de Mouawad pendant le confinement. Je propose d’analyser les spectacles récents et les mises-en-voix des textes de Mouawad durant cette période. Je souhaite ainsi explorer l’impact qu’a eu la tragédie sur sa manière d’aborder l’éthique du soin et la résilience de la diaspora libanaise. Cette résilience s’est notamment manifestée par des initiatives internationales d’aide communautaire et par une mobilisation ciblée de la diaspora pour son pays d’origine. Ma présentation réunit études de la diaspora et éthique du soin à l’intérieur d’un cadre hantologique. J’y avance qu’en faisant parler le présent, les mises-en-voix de Mouawad s’inscrivent non seulement dans son approche à l’éthique du soin pendant la pandémie, mais constituent aussi un rituel qui invoque le passé.
Felicia Cucuta est doctorante en langues et littératures romanes. Elle se spécialise en théâtre et en littératures contemporaines de la francophonie. Son champ d’intérêts comprend les études de la culture et de la performance, la dramaturgie et le croisement entre le théâtre et les sciences humaines numériques.
La performance de la crise : Le militantisme en Amérique latine en période de transitions démocratiques et de pandémie mondiale
NAE HANASHIRO ÁVILA
Pendant la pandémie de COVID-19, de nombreux groupes sociaux et politiques d’Amérique latine se sont mobilisés pour réclamer le respect des droits civiques. Cette communication examine deux performances féministes dérivées de ces mouvements : Hoy, hundimos el miedo (Aujourd’hui, nous noyons la peur) par le collectif chilien Las Tesis et Marea Roja. Ponte el alma (Marée rouge. Porte ton âme) par Yuyachkani, Collera et Warmikuna au Pérou. À la veille d’un référendum sur l’adoption d’une nouvelle Constitution, Las Tesis a organisé une manifestation publique pendant laquelle des centaines de femmes sont descendues dans les rues de Valparaíso en direction du port pour y jeter des exemplaires de la Constitution. Hoy, hundimos el miedo anticipe la fin d’une époque marquée par un ordre politique datant de la dictature militaire. Un mois plus tard, au Pérou, alors que des manifestant.e.s s’opposaient à la destitution de l’ancien président Martín Vizcarra, cinquante femmes ont formé une « marée rouge » dans les rues de Lima pour pleurer la perte de celles et ceux qui se sont battus pour la démocratie. Cette communication propose d’étudier la manière dont ces performances abordent la crise démocratique durant la catastrophe sanitaire. Elle explore aussi la manière dont le militantisme s’adapte au contexte de la pandémie en examinant le traitement de la distanciation physique et des autres gestes barrières dans ces performances.
Notice biographique
Nae Hanashiro est doctorante au Département d’espagnol et de portugais à l’Université de Toronto. Sa thèse de doctorat s’intitule Il/legible Acts : Feminist Resistance Through Performance in Chile and Peru . Ce projet propose d’utiliser une approche transnationale pour analyser la manière dont les spectacles féministes apportent un nouvel éclairage sur la violence faite aux femmes dans les démocraties néolibérales.
« Au bord du gouffre » : un siècle de crises, d’adaptation et de résilience au Théâtre Alumnae.
ROBIN C. WHITTAKER
Et voilà que [le Théâtre Alumnae] remportait du succès. […] Mais [les membres de la compagnie] ont ensuite déménagé dans cet édifice alors qu’une nouvelle vague de théâtre déferlait sur le pays. Et elles se sont dit : « Oh, mais qui sommes-nous à présent? […] Je me suis imaginé à quel point ça avait dû être terrifiant. Mes soucis concernant la vente de billets pour ce spectacle étaient tellement petits en comparaison. […] Et elles devaient faire face [aux théâtres] Tarragon [et] Factory.... (PJ Hammond, ancienne présidente du Théâtre Alumnae)
Si votre théâtre demeurait actif pendant plus de cent ans, combien de crises devrait-il affronter ? Huit mois après la première production du Théâtre Alumnae de Toronto en février 1918, la ville ferma les théâtres et autres salles de spectacle en réaction à la deuxième vague de la grippe espagnole (« Fifty-five », p. 8). Mais le confinement ne dura que deux semaines (Parkhurst, p. 8). En mars 1919, la compagnie mit en scène une autre pièce en dépit du fléau qui allait tuer des dizaines de millions de personnes à travers le monde.
Après plus de cent ans d’activité, le Théâtre Alumnae est la plus vieille compagnie de théâtre dirigée par des femmes en Amérique du Nord. Sa longévité fut marquée par deux pandémies et par de nombreuses crises. Dans cette communication synchrone, j’avance que nous avons beaucoup à apprendre de la gestion et de la programmation flexible du Théâtre Alumnae, une compagnie qui, au fil des ans, a toujours refusé de se professionnaliser. Les choix audacieux des femmes à la tête du Théâtre Alumnae ont permis à cette compagnie de théâtre amateur de braver deux pandémies, deux guerres mondiales, une expropriation municipale, des politiques universitaires adverses, des contrats de location instables et l’émergence du théâtre professionnel comme discipline.
Je me pencherai sur les années 1969-1972, alors qu’un événement vint frapper le Théâtre Alumnae : l’expropriation inattendue de la compagnie par Toronto Hydro. Pour la quatrième fois de son existence, le théâtre a dû plier bagage et quitter son lieu d’opération, une ancienne synagogue située au sud de l’Université de Toronto. « Au bord du gouffre », la compagnie fut contrainte de se reloger à un moment où les « théâtres alternatifs » venaient profondément bouleverser l’écologie de la scène culturelle torontoise (Alumnae, Communiqué de presse). Le périple de la synagogue à une ancienne caserne de pompiers, le site actuel de la compagnie, a enseigné aux membres du Théâtre Alumnae les rouages du militantisme municipal et de la démocratie participative au moment où les Torontois insistaient sur l’importance du théâtre professionnel et amateur dans la ville.
Ouvrages cités :
Alumnae. « The University Alumnae Dramatic Club acquires the Berkeley Street Firehall [Communiqué de presse] », automne 1971.
« Fifty-five deaths from influenza and pneumonia », Globe, 18 octobre 1918, p. 8.
Whittaker, Robin. « PJ. Hammond [Entrevue]», 25 octobre 2017.
Parkhurst, E.R. « Music and the Drama », Globe, 31 octobre 1918, p. 8.
Notice biographique:
Robin C. Whittaker est professeur adjoint en théâtre à l’Université Saint-Thomas. Dramaturge et metteur en scène, il a publié de nombreux travaux sur le théâtre canadien. Robin a collaboré à la création de la pièce de théâtre documentaire No White Picket Fence (Talonbooks, 2019), il a édité le volume Hot Thespian Action : Ten Premiere Plays from Walterdale Playhouse (Athabasca University Press, 2008) et il a rédigé plusieurs articles pour des revues de théâtre, dont Theatre Research in Canada et Nineteenth Century Theatre and Film. Robin a aussi contribué à l’ouvrage Canadian Performance Histories and Historiographies (Playwrights Canada Press, 2017). Ses recherches se penchent sur les pratiques du théâtre amateur. Il prépare actuellement un livre sur le Théâtre Alumnae.