Photographie d'un lac calme et serein devant une montagne rocheuse déchiquetée. À gauche, la falaise rocheuse est recouverte d'une forêt de pins verte et dense. L'eau du lac est si calme qu'elle reflète clairement la montagne déchiquetée, le ciel bleu et les volutes de nuages blancs dans le ciel.

Construire d’autres mondes :

les possibilités de l’hétérotopie, de l’ethnobricolage et de la conception des pratiques

Vendredi 25 juin 2021 | 9h30 - 11h00

Séance simultanée en direct sur Zoom en anglais. Aucune interprétation en langue des signes ou traduction ne sera proposée pour cet événement.

(PRÉSIDENCE : SYLVAIN SCHRYBURT) DENIZ BASAR, ART BABYANTS, CARLA MELO, JIMENA ORTUZAR

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Création de spectacles pendant la pandémie : Le travail du théâtre comme un plan d'hétérotopie

Deniz Başar et Art Babayants

L'hétérotopie, selon Michel Foucault, signifie un autre « espace » et fait référence à une réalité/un espace physique qui intervient d'abord sur un ordre social existant et le redéfinit ensuite. La pandémie de COVID-19 peut être lue comme une hétérotopie mondiale qui a déstabilisé le capitalisme et créé des possibilités d'émergence d'autres hétérotopies. 

Alors que la pandémie a entraîné la fermeture de théâtres établis et la limitation des rassemblements publics, un groupe d'artistes émergents de Montréal s'est réuni autour de X, un immigrant canadien de première génération et dramaturge turc.  Le collectif, appelé Sort-of-Productions, en collaboration avec le metteur en scène Y, a engagé des gens racisés, des artistes transgenres et queers, qui n'ont pas la possibilité d'accumuler du capital social dans le monde du théâtre canadien, pour travailler ensemble sur la pièce. Les artistes ont tenté d'utiliser les ressources financières disponibles de manière inattendue pour expérimenter de nouvelles approches dramaturgiques et éthiques afin de créer un spectacle socialement distancié et basé sur Wine&Halva, la dernière pièce de X. L'objectif de ce processus créatif n'était pas simplement de produire une nouvelle pièce tout en se distanciant socialement dans des espaces publics extérieurs, mais aussi de créer l'expérience d'une hétérotopie construite ensemble dans une ville gravement touchée à la fois par la pandémie et par une vague montante de politiques populistes. La dramaturgie, s'inspirant des règlements sanitaires de COVID-19, a permis de visualiser les deux personnages de la pièce qui sont séparés par le monde malgré le fait qu'ils veulent combler la distance qui les sépare. 

Cette présentation bilingue analysera comment la production de Wine&Halva visait à déstabiliser certaines conventions du théâtre canadien anglais en s'engageant dans l'esthétique d'avant-garde des salles de blackbox d'Istanbul et discutera de la façon dont la pandémie de COVID-19 a fourni par inadvertance des circonstances matérielles pour une production improbable d'une pièce improbable écrite par un dramaturge improbable.

Notices biographiques

Deniz Başar est une chercheuse en théâtre, marionnettiste et dramaturge primée à l’échelle nationale deux fois originaire de la Turquie. En 2014, elle a reçu un des prix les plus prestigieux pour la dramaturgie en Turquie (le concours annuel de la maison d’édition d’oeuvres théâtrales Mitos-Boyut) pour sa pièce The Itch («La démangeaison») publiée dans leur collection de livres primés cette année-là. En 2016, elle a gagné le Derbent Playwriting Contest avec un projet collaboratif d’artistes de théâtre indépendant.es de l’Iran et de la Turquie, soit sa pièce de théâtre In the Destructible Flow of a Vast Monolithic Moment (« Dans le courant destructible d’un vaste moment monolithique ») qui a été traduite en persan. Depuis son arrivée au Canada en août 2014, elle a participé à de multiples productions à Toronto et Montréal comme dramaturge et marionnettiste. In the Destructible Flow of a Vast Monolithic Moment a été mise en lecture en 2019 au Festival Revolution They Wrote. Sa pièce Wine&Halva, développée dans le cadre du « Groupe de jeunes créateurs 2018-19 » du PWM, a été sélectionnée par Emma Tibaldo pour qu’elle y collabore comme dramaturge. Quelques expériences ici-choisies incluent In Sundry Languages/En langues diverses du Toronto Laboratory Theatre (en tant que conseillère dramaturgique pour la version de la pièce montée en 2017 au Festival Caminos) et Numbers Increase As We Count (« Les nombres augmentent en les comptant ») au MAI (en tant qu’assistante à la production).

Art Babayants/ Արտ Բաբայանց est un artiste-universitaire de théâtre arménien-canadien ayant travaillé avec des praticien.ne.s de théâtre professionnel.le.s, semi-professionnel.le.s et amateur.trice.s en Russie, à Malte, en Lettonie, en Bulgarie, au Royaume-Uni, aux États-Unis et au Canada. Il a fondé sa première compagnie de théâtre en 2004 et a entamé, presque réticent, une carrière en mise en scène qui, désormais, compte à son actif des comédies musicales telles que Share and Share Alike (2007), Seussical. The Musical (2009), Gypsy (2011), Godspell (2014), et Spring Awakening (2019); des pièces de théâtre contemporaines canadiennes telles que Couldn’t We Be (2008), The…Musician: An Etude (2012 and 2014), Wine&Halva (2020); des créations collectives (En langues diverses, 2015-2019) et un opéra (The Diary of One Who Disappeared de Leoš Janáček). Son œuvre la plus connue, la production collaborative multilingue En langues diverses, a été présentée au Toronto Fringe (2017) et à Caminos (2017), et a été décrite par NOW comme « une critique convaincante de l’inclusivité canadienne ». En 2019, le spectacle a tourné dans la région métropolitaine de Toronto et à Ottawa. Le texte de En langues diverses a été publié par les presses Playwrights Canada en 2019 et par Canadian Theatre Review (avril 2019).

Concevoir la pandé-mic avec les poétiques du virtuelles

CARLA MELO

Quoique la création collective inclue un grand nombre de méthodes, elle repose souvent sur des processus de collaboration qui mobilisent des modalités corporelles et visuelles dans l’élaboration de récits. Comme tel, ce processus semble requérir la co-présence. Pourquoi donc, alors que la seule alternative se présentant à nous était de mettre en scène la production étudiante annuelle à distance, ai-je eu recours à la création collective? Mue par le désir d’offrir un espace aux étudiant.e.s qui leur permettrait de digérer les impacts de la pandémie sur leur vie, je n’ai trouvé aucun texte pouvant atteindre ce but. Créer cette œuvre nous-même était notre seule option. Cette décision m’a mené à élaborer un cours de création collective intitulé Poetics of the Virtual (« Poétique du virtuel ») qui nous a servi de laboratoire pour notre production The Pande-Mic Project. Le jeu de mot est voulu (mic étant l’abréviation populaire anglophone pour microphone); il évoque la plateforme créée pour les étudiant.e.s où iels pouvaient partager leurs propres récits. 

À l’approche de la fin de ce qui a été une initiative productive de recherche collective, j’ai remarqué que la création collective n’est pas seulement l’approche la plus propice pour explorer la thématique choisie, mais aussi un mode de création assez prolifique compte tenu des contraintes actuelles. Informée par le processus créatif de la production à venir, la présentation que je propose abordera les questions suivantes: Quelles méthodes de création collective en particulier sont les plus adaptées à la collaboration en ligne? De quelles manières est-ce que la création collective peut contribuer à la réinvention du théâtre en temps de distanciation sociale? Et quels avantages peuvent surgir de ce retournement de situation lorsque nous serons de nouveau en mesure de se toucher, de respirer et de créer au même endroit?

Notice biographique
Carla Melo est une chercheuse, artiste de théâtre et éducatrice travaillant aux intersections de la performance et de l’activisme. Ses travaux de recherche universitaire et artistique explorent les pratiques de performance à travers les Amériques qui situent la corporalité, l’espace public, et la mémoire collective au premier plan. Quelques publications récentes incluent des contributions au Routledge Companion to Butoh Performance (2018) et à Sustainable Tools for Precarious Times: Performance Actions in the Americas («Outils durables pour des temps précaires: Actions de performance aux Amériques») (Palgrave, 2019). En tant que metteuse en scène et artiste-interprète, son travail solo et en groupe, qui explore la création collective, la spécificité du lieu et les dramaturgies multilingues, a été monté aux États-Unis, au Brésil et au Canada. Elle est ravie d’avoir récemment rejoint le département ACM (Arts, culture et média)  de l’UTSC.

Tous contre la « nouvelle normalité »

JIMENA ORTUZAR

Le problème avec la normalité, c’est qu’elle se dégrade toujours.

                                                                                 — Bruce Cockburn.

Depuis plus d’un an, la capacité d’adaptation s’avère l’outil indispensable pour traverser la pandémie mondiale de COVID-19. Mais cette aptitude, si utile en temps de crise, est aussi associée au capitalisme flexible, qui exige qu’on s’adapte aux aléas du marché. L’adaptabilité est un pouvoir que nous avons mis au service de l’accumulation du capital. Ainsi employé, ce pouvoir est réduit à une seule qualité : la flexibilité (Agamben : 2011). L’exigence du néolibéralisme voulant que nous soyons flexibles en tout temps nous amène à réfléchir sur la façon dont nous réagissons à la « nouvelle normalité ». Comment et dans quelle mesure allons-nous nous y adapter ? Plusieurs universitaires, par exemple, se disent inquiet.e.s du transfert rapide de leurs activités d’enseignement sur Internet, surtout après s’y être opposé.e.s pendant des années. Cette situation en a poussé plusieurs à résister au changement en refusant de « prétendre que ce nous faisons est si facilement transférable » (Walcott : 2020). Que pouvons-nous apprendre du refus de s’adapter (ou de s’adapter aisément) ? Pour ceux et celles engagé.e.s dans la pratique et la recherche en théâtre et en performance, le refus de s’adapter pourrait ouvrir la voie à de nouvelles perspectives sur la valeur de notre travail à l’université et ailleurs. S’inspirant du discours actuel sur le refus, cette communication propose d’examiner la manière dont nous résistons à la « nouvelle normalité » à travers nos actes politiques et nos activités quotidiennes. Notre refus de s’adapter pourrait-il générer une meilleure situation après la pandémie ?

Notice biographique
Jimena Ortuzar est chercheuse postdoctorale à la School of Performance de l’Université Ryerson. Ses recherches, financées par le CRSH, portent sur le militantisme des femmes ayant rejeté leur travail reproductif ou l’ayant réorganisé en période d’austérité et de répression politique. Ses travaux ont été publiés dans des revues canadiennes et internationales, dans des anthologies portant sur le théâtre latino-américain et sur la performance engagée dans les Amériques, et dans des volumes sur le théâtre et la migration où sont réunies des pièces écrites par des femmes (à paraître). Jimena collabore à Gatherings, un projet visant l’étude et la conservation d’histoires liées au théâtre et à la performance au Canada.