Me regarder, vous regarder

 « Vous devez aller en… ligne » : innovations pour l’adaptation de productions de théâtre musical populaire pour la diffusion numérique

Grahame Renyk

Adapter le théâtre musical en vue d’une performance virtuelle est particulièrement difficile étant donné que la collaboration musicale est limitée à cause de la latence du signal et/ou de la distanciation sociale. Dans cette communication, je vais présenter trois exemples de théâtre musical qui ont réussi à faire le saut en mode virtuel durant la pandémie, tout en préservant le sens esthétique, sinon l’esthétique même de leurs productions originales. Ces adaptations sont apparues, pour reprendre une analogie musicale, comme de fascinantes variations sur un thème, des compléments, des alter ego des œuvres originales jouées en direct plutôt que comme des substitutions.

Le premier exemple est l’adaptation par le Crow Theatre de sa production de 2019 intitulée Ghost Quartet. Filmée, mixée et montée de façon professionnelle comme une soirée de concert avec distanciation sociale, l’adaptation tire pleinement parti du cadre théâtral, de l’éclairage et de la scénographie pour transposer son ton surréaliste à une diffusion virtuelle. Le deuxième exemple est Life in a Box, le grand succès du Toronto Fringe. Reconstruit en une série d’épisodes joués en direct sur Instagram par des créatrices et créateurs en quarantaine dans leur appartement en sous-sol, le spectacle adopte le vocabulaire formel des médias sociaux et est imprégné de l’esthétique fait maison du théâtre expérimental. Le troisième exemple est do you want what i have got? a craigslist cantata. Afin de respecter les restrictions sanitaires, les artistes étaient filmés en direct à partir de différents espaces clos situés dans l’édifice du Théâtre Clutch à Vancouver. Ironiquement, cette esthétique de pandémie convenait parfaitement bien à cette production, étant donné son contenu (une série de chansons et de scènes inspirées d’annonces personnelles tirées de la Craiglist) et ses thèmes de l’isolement et de la solitude.

Notice biographique

Grahame Renyk est chargé de cours à l’École de théâtre et de musique DAN de l’Université Queen’s. Il a récemment repris ses études doctorales au Centre d’études sur l’art dramatique, le théâtre et la performance de l’Université de Toronto, où il se consacre à sa thèse intitulée « From Green Gables to Gander: Canadian musicals since 1965 ». Il a auparavant travaillé comme metteur en scène et acteur ; il travaille depuis peu pour le New West Theatre à Lethbridge en Alberta. Malgré les joies que la diffusion numérique lui a apportées, la performance en direct lui manque beaucoup.

Nouvelles (plate)formes : jouer avec des Sims tchékhoviens

Ilana Khanin

« Nous avons besoin de nouvelles formes ! » dit Konstantin à Sorine au début de la pièce La mouette de Tchekhov. Cet appel s’applique maintenant à nous, en ce temps de pandémie, alors que Zoom est devenu cette (plate)forme.

Celine Song, une dramaturge canadienne d’origine coréenne établie à New York, joue un autre jeu. Elle présente sur Twitch son adaptation de La mouette, jouée par une distribution de Sims, intitulée judicieusement La mouette des Sims 4. Pendant deux soirées (et plus de cinq heures), Song a constitué sa distribution, réalisé la production, conçu les costumes, personnalisé le décor et guidé les Sims au cours des quatre actes de la pièce de Tchekhov.

Le fait que Twitch soit avant tout une plateforme de jeu place la notion de « jeu » au centre de l’attention — elle est à la fois La mouette et ne l’est pas. C’est lorsque les intentions de Song frôlent les limites du design des Sims que les choses deviennent intéressantes. Et la performance de Song offre une nouvelle façon de concevoir la paternité de l’œuvre : alors qu’elle contrôle tout, elle passe la plupart de son temps à se disputer avec les artistes qui ont leurs propres intentions. La mouette des Sims 4 est un exemple parfait démontrant comment les structures esthétiques sont liées à l’organisation des institutions, dans l’espace numérique et physique.

Notice biographique

Ilana Khanin est étudiante au doctorat au Centre d’études sur l’art dramatique, le théâtre et la performance de l’Université de Toronto. Elle est titulaire d’une maîtrise en études de la performance et d’un baccalauréat en théâtre, tous deux obtenus à l’Université de New York. Elle est metteure en scène indépendante. Elle a récemment réalisé une résidence d'artiste à la Montclair State University.

Rencontrez-moi avec une webcam : une éthique de la pratique de la performance participative à l’ère de Zoom

Tom Drayton, Ph.D.

Project Phakama est une organisation artistique internationale dont l’éthique de « collaboration non hiérarchique [en] dialogue avec les traditions locales de performance » (McAvinchey et al, 2018, p.3) se manifeste, en partie, par des performances participatives in situ, avec l’approche « Give and Gain » ; promouvant « la communauté, l’équité culturelle et la responsabilité partagée » (McAvinchey et al, 2018, p.54). En 2020, à une époque de confinement imposé où le « pseudo-contact » passif (Collard, 2020) offert par les logiciels de vidéoconférence augmentait souvent les sentiments de déconnexion et de solitude des personnes isolées, Phakama a rapidement mis en place une bourse pour les artistes numériques qui leur permet de « déplacer leur pratique vers des modes de diffusion numériques et d’atteindre des participantes et des participants qui se sentent isolés » (Phakama, 2020).

Faisant écho à une préoccupation contemporaine croissante concernant l’éthique de la participation dans les pratiques de performance contemporaines (Lavender, 2016), cette communication présentera les différentes conceptions (Breed, 2008 ; Beswick, 2016 ; McAvinchey et al, 2018) de la méthodologie de Phakama en se concentrant sur la façon dont deux des projets soutenus par ce fonds ont pu exprimer efficacement l’éthique de la participation de Phakama sur des plateformes en ligne : « Virtual Walks » de Jessica Starns, dans lequel les personnes participantes ont amené les autres dans des voyages virtuels autour de lieux particulièrement significatifs pour elles en utilisant Zoom et Google Street View comme moyen de performance commun et « Four More Walls » de Django Pinter, qui a intégré une manipulation vidéo en direct pour intégrer activement les participantes et les participants sur Zoom dans un espace de performance participatif en ligne.

En considérant que le mot « hosting » signifie à la fois l’acte de tenir une réunion avec Zoom et le recours à l’éthique de la « protection, de l’abri ou du compagnonnage mutuel et réciproque […] » (McAvinchey et al, 2018, p.41), cette communication examine comment ces artistes ouvrent la voie à de nouvelles formes de participation virtuelle non hiérarchiques dans lesquelles « tout le monde a quelque chose à donner et tout le monde a quelque chose à gagner » (Phakama, 2020).

Notice biographique

Tom Drayton, Ph.D., est maître de conférences en art dramatique, performance et mise en scène à l’Université d’East London. Ses recherches portent sur le métamodernisme dans la performance, le théâtre des millénariaux, le théâtre politique et l’activisme théâtral. Tom est également metteur en scène pour le Pregnant Fish Theatre et artiste associé du Project Phakama. https://tomdrayton.weebly.com/research.html.